Si le débat sur l’efficience des ARS est légitime, leur suppression ou leur passage sous tutelle préfectorale ou départementale posent questions. Après quinze ans d’actions, les agences sont des espaces de coordination et d’expertise, où tous les acteurs de la santé globale se rencontrent. Elles ont un rôle à jouer dans le plan France Santé.

La proposition du Premier ministre Sébastien Lecornu, le 14 novembre lors des assises des départements de France, de réformer en profondeur les agences régionales de santé (ARS) et de transférer certaines de leurs compétences aux conseils départementaux, a provoqué de vives réactions et des critiques émanant de divers acteurs du système de santé. La ministre de la Santé, des Familles, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, Stéphanie Rist, a dès le lendemain tenté, dans un courrier aux directeurs et aux agents des ARS, de leur apporter des clarifications (lire l’article Hospimedia). Elle a continué cette démarche d’apaisement ce 20 novembre devant l’Association des journalistes de l’information sociale.
À son sens, les ARS sont « le réceptacle et la vitrine de tout ce qui ne va pas dans notre système de santé, c’est-à-dire la suradministration« . Elles ont, selon la ministre, « une efficacité très importante« . Elle estime qu' »il faut maintenir ce bras armé de l’État […] qui est une ligne directe de direction entre le ministère et ses administrations, qui permettent assez vite, même très vite, de mettre des politiques publiques sur la santé en place, faire des retours sur les crises, l’évaluation épidémiologique locale« . Toutefois, explique-t-elle, « il y a une nécessité de faire évoluer ces administrations créées en 2010. Cela fait donc quinze ans et tout a évolué autour, il serait étonnant qu’il n’y ait pas besoin de les faire évoluer. […] Notamment quand vous avez les élus en face qui sont […] à 90% mécontents et veulent les supprimer« . Son souhait : « recentrer ces agences sur leur cœur de métier et garder absolument ce lien avec le ministère« . Mais il faut aussi « plus de proximité » et c’est à cet échelon départemental qu’il est envisagé de faire évoluer le modèle.
Opposition des anciens ministres de la Santé
La décentralisation, tout comme la santé des Français, mérite mieux que cette vision simplificatrice du système de santé.
Extrait de la tribune des onze anciens ministres chargés de la Santé.
« Le démembrement des ARS voulu par Sébastien Lecornu va à rebours de ce que l’on doit construire aujourd’hui« , écrivent onze anciens ministres chargés de la Santé* dans une tribune publiée le 18 novembre. « Imaginer qu’en matière de santé l’échelle pertinente serait le département est une erreur« , continuent-ils. Les ARS ont été créées avec l’ambition de coordonner les actions éclatées de l’État, des départements et de l’Assurance maladie tout en permettant la prise en compte des spécificités territoriales, rappellent-ils, réitérant leur ferme croyance en ce projet. Ils précisent qu' »ajouter une nouvelle responsabilité aux départements sans la moindre expérimentation préalable relève plus de l’idéologie que d’une politique publique« .
Renforcer, plutôt qu’affaiblir
« La santé n’est pas une affaire d’ordre public« , clament par ailleurs vingt-quatre organisations de santé publique par communiqué. Confier la tutelle des ARS aux préfets serait, selon elles, « une erreur de fond » qui irait « au détriment de la démocratie en santé et du dialogue avec les élus, les professionnels comme avec les usagers du système de santé« . Ce projet est « un coup grave à la cohérence et l’équité » du système. Car « les ARS ne sont pas de simples administrations déconcentrées. Elles constituent des espaces de coordination et d’expertise, où se rencontrent les acteurs du soin, de l’action médico-sociale, de la prévention, de la promotion de la santé et de la santé environnementale ». Et elles ont, selon elles, « démontré leur capacité d’adaptation et de réactivité » pendant la pandémie de Covid-19. Elles réclament au contraire « un renforcement démocratique et opérationnel du pilotage des politiques de santé dans les territoires« , en associant notamment davantage les élus locaux, les citoyens et les acteurs de santé aux décisions régionales.
Pas de France Santé sans ARS
Le Conseil national de l’ordre des médecins fait quant à lui le lien, par communiqué également, avec l’esprit du plan France Santé, « aux perspectives prometteuses« , jugeant que sa concrétisation repose sur des ARS « réformées, stabilisées et pleinement ancrées localement« . « Sans clarification des responsabilités ni renforcement de l’autonomie régionale, les objectifs annoncés risquent de demeurer théoriques« , écrit l’ordre. « La priorité ne réside pas dans la disparition de cet échelon régional mais dans la redéfinition de ses missions et le renforcement de ses capacités d’action« . Il considère que les ARS doivent être un outil efficace à condition d’exercer pleinement leur mission de gestion territoriale de la santé. « Le préfet doit conserver une autorité claire en situation de crise sanitaire. En dehors de ces périodes exceptionnelles, la gestion opérationnelle de la santé doit relever des ARS, dont les compétences territoriales doivent être consolidées. » Et dès lors de souhaiter inscrire le plan France Santé et les ARS dans la durée.
Répercussions financières et humaines
Au nom des acteurs privés du grand âge, le président du Synerpa Jean-Christophe Amarantinis, « appelle à la vigilance sur les modalités de cette transition. […] L’expérience montre que les transferts de fiscalité ne suivent pas toujours l’évolution des besoins sociaux, fragilisant les collectivités. De plus, les fortes inégalités territoriales entre départements ne sont pas toujours compensées par les mécanismes de péréquation. » La Conférence nationale des directeurs d’établissements pour personnes âgées et handicapées, par communiqué ce 21 novembre, est tout aussi vindicative à cette idée de réforme, alertant entre autres sur l’impact à moyen et long termes des tarifs libres comme variable d’ajustement de la soutenabilité budgétaire des établissements, la fin potentielle de la branche autonomie du fait du versement direct d’une part CSG aux départements, la régulation des dépenses du grand âge et du handicap comme variable d’ajustement des politiques des conseils départementaux ou encore le risque de défléchage des crédits délégués au médico-social.
Et des deux côtés les agents s’interrogent. Le syndicat CFDT Interco (pour Intérieur et collectivités locales) par exemple questionne : « Comment les départements pourraient répondre aux enjeux de santé de proximité, aux déserts médicaux, aux difficultés que rencontrent au quotidien les professionnels de santé avec les contraintes budgétaires et structurelles qui sont les leurs et sachant que les ARS peinent déjà à remplir ces missions ? » Le Snass-CGT, lui, se demande si c’est la fin des délégations départementales des ARS et quel sera alors le devenir de leurs agents.
* Roselyne Bachelot (2010-2012), François Braun (2022-2023), Agnès Buzyn (2017-2020), Geneviève Darrieussecq (2024), Claude Évin (1988-1991), Agnès Firmin-Le Bodo (2023-2024), Yannick Neuder (2024-2025), Aurélien Rousseau (2023), Marisol Touraine (2012-2017), Frédéric Valletoux (2024) et Olivier Véran (2020-2022).

